top of page
  • arth1996

La Nutrition à la conquête de l'espace


Pour cette interview, nous sommes en compagnie de Mr Serge Pieters, président honoraire de l’Union professionnel des diététiciens de la langue Française (UPDLF). Il est également expert en nutrition du sport (spécialisation à l'Université Paris-Descartes) et accompagne certains sportifs belges de haut niveau dans le cadre de la préparation aux Jeux Olympiques !


Enfin, il est consultant en nutrition pour l’Agence Spatiale Européenne.


Quel est le rôle d’un diététicien dans la conquête spatiale ?


Tout d’abord, il est évident que l’acte de s’alimenter est un besoin essentiel ! Néanmoins, au départ, nous pensions que les astronautes n'étaient pas capables de s'alimenter avant le premier vol de Youri Gagarine.


Figure 1: Youri Gargarine, le premier homme à avoir été dans l'espace.


En effet, les scientifiques estimaient que l’Homme n'était pas capable de mastiquer, déglutir, de digérer et de déféquer correctement dans l'espace. C'est dans ce contexte qu'ils ont développés les premières diètes élémentaires qui devaient justement permettre aux astronautes de pouvoir s'alimenter correctement.

Heureusement, Youri Gagarine a pu démontrer que l’Homme était capable de s'alimenter correctement dans l'espace, en mangeant des bouchées de pain, des morceaux de poisson etc.


Au cours des premiers vols, c'était plutôt anecdotique. Mais quand nous envisageons maintenant les vols au moins jusque Mars (6 mois aller, 6 mois retour avec des personnes qui vont rester 1 an sur place), il est nécessaire d'avoir une alimentation tout à fait adaptée pour éviter les erreurs qui ont été commises par le passé et notamment lors des grandes expéditions maritimes comme le scorbut (un déficit en vitamine C) et le béribéri (un déficit en Vitamine B1).



Figure 2: Conséquences d’une déficience en vitamine C : le scorbut.


Figure 3 : Conséquence d’une déficience en vitamine B1 (thiamine : le béribéri)



De quoi se compose l’alimentation d’un astronaute ? Actuellement, nous devons avoir une alimentation qui ne soit pas trop lourde dans le sens du poids mais aussi du volume car effective cela coûte excessivement cher ; c'est un des ennemis du vol donc nous allons essayer de trouver une alimentation qui soit la plus dense aux niveaux nutritionnel et énergétique, bien souvent sous forme lyophilisée. De cette manière-là, on va économiser l'eau (denrée précieuse que l’on est capable de produire (piles à combustibles) ou éventuellement de recycler dans l'espace).


Figure 4: Exemples d'aliments lyophilisés


D'autre part, le fait de lyophiliser permet d'augmenter la durée de vie des aliments, ce qui est intéressant afin de conserver les aliments longtemps. N'oubliez pas qu'un vol vers Mars est de 2 ans aller-retour.

Cependant, cette alimentation lyophilisée n'est quand même pas très plaisante… Tous ceux qui ont eu l'occasion de faire notamment du trail, de la randonnée et de manger des plats lyophilisés trouve cela :


  1. Cher

  2. Pas spécialement nourrissant

  3. Peu gustatif

Il faut donc essayer d’améliorer ces défauts pour ne pas déstabiliser l'équilibre mental des astronautes. Il faut tendre vers une alimentation qui soit suffisamment goûteuse et dans ce cadre-là, nous développons avec des grands chefs, une alimentation qui est réservée pour les grands jours comme les anniversaires, les fêtes etc, qui est nettement plus gastronomique. Dans ce cadre nous avons opté pour des plats préparés et servis en boîte thermo-stabilisée.

Nous essayons également de produire des biscuits secs ou d’autres aliments comme du pain, des morceaux de viande irradiés ou encore un peu de confiseries. Lorsqu’ils ont la chance d'avoir un ravitaillement, dans ce cas-là, les astronautes ont droit notamment à des fruits et quelques légumes, ce qui permet aussi d’égayer leur quotidien.

En tout cas, le diététicien, en collaboration avec des chefs étoilés, essaye de proposer une alimentation qui est d'une part intéressante gustativement parlant mais également nourrissante. [1]


Quelles évolutions notables pouvez-vous citer en termes d’alimentation entre les premières missions spatiales et celles d’aujourd’hui ?

Je vais vous citer un des premiers médecins de la NASA qui s'est occupé de l'alimentation des astronautes et qui a dit que LA 1ère révolution essentielle a été les toilettes lors des missions[2]. Avant cela, il fallait essayer d'avoir une alimentation qui ne soit pas trop importante pour éviter justement de devoir utiliser des toilettes. Depuis leur apparition, nous sommes maintenant capables de fournir une alimentation tout à fait normale donc ce n’était pas très glamour mais c'est la réalité.


Figure 5: A quoi ressemble les toilettes pour les astronautes ? En tout cas pas à cela !


Actuellement, c'est à bord de la station spatiale internationale que nous avons besoin d'avoir une alimentation suffisamment nourrissante parce qu’il ne faut pas oublier que le séjour en microgravité est quand même assez hostile pour l'être humain.[3]

En effet, cette microgravité va nous faire flotter, ce qui aura pour conséquence de réduire fortement l’utilisation des muscles. Nous pouvons donc observer une fonte musculaire mais également une décalcification osseuse[4]. Il est estimé que cette décalcification osseuse est à peu près de 1-2% par mois. A titre d’exemple, une femme après la ménopause ne perd que 1-2% par an donc la différence est très importante.


Un autre élément important c'est que l'on va avoir une anémie (NSH : mauvaise oxygénation du corps) spatiale. Je peux également citer des perturbations au niveau des sens olfactifs et gustatifs[5].


Enfin, il faut également prévenir tous les risques éventuellement liés aux radiations avec notamment une alimentation suffisamment riche en antioxydants pour pouvoir protéger les cellules...


Figure 6: Effet délétère de la microgravité sur la masse osseuse et musculaire Nous sommes face à des défis technologiques et des défis de santé pour permettre à un astronaute, lorsqu’il rentre sur terre, d’avoir la capacité de bouger mais aussi de limiter ses facteurs de comorbidités.


Enfin pour finir, si vous deviez faire une prédiction, Qu’est-ce qu’un astronaute mangera dans 20 ans ?

Pour l'instant, les astronautes ne reçoivent que de la nourriture issue de la terre mais ce qui est prévu notamment lors du projet sur mars et du projet MELISSA (Micro-Ecological Life Support System Alternative)[6] pour lequel je collabore avec l’Agence Spatiale Européenne, c'est de créer un système de support de vie pour que les astronautes puissent, lorsqu’ils seront sur la planète Mars, produire une bonne partie de l’eau potable, de l’oxygène mais également leur alimentation.


Dans ce cas-ci, on parle des plantes telles que du blé, du riz, du soja mais aussi des légumes comme des tomates, de la laitue, kale, … Ou encore de la spiruline. Actuellement, il y déjà une dizaine de plantes sélectionnées et avec lesquelles, les astronautes seront capables de se nourrir et de fournir au moins 40-60% des rations alimentaires.


Figure 7 : Le concept de la boucle MELISSA - ESA


L'avantage c'est que l’on va travailler en boucle fermée c'est-à-dire que l'astronaute va émettre effectivement des déchets et ces derniers vont être valorisés et transformés pour à nouveau produire de l'oxygène, de l'eau potable et également des nutriments qui nous permettront de faire à nouveau pousser des plantes. Nous espérons, grâce à cela, avoir une boucle qui soit suffisamment performante, au moins 95%, de manière que les astronautes puissent vivre totalement en autarcie sur la planète Mars.


Cela permettra d'une part, d'avoir des aliments frais qui sont suffisamment nutritifs et d'avoir également une cuisine où les astronautes seront capables de réaliser des recettes comme une « purée de pommes de terre martienne ». Il faut savoir qu’on produira des pommes de terre en culture hydroponique, on va donc les faire pousser en culture hors-sol. Par contre, on ne pourra pas mettre de lait parce qu’on n'emmènera pas de vache.


Figure 8: Film de science-fiction où l'on peut faire de l'agriculture sur Mars.


En revanche, le lait en poudre sera peut-être une option quoi qu'un peu lourd mais on aura surement du soja pour en faire du jus de soja et le rajouter dans notre purée. Malheureusement, le beurre, si on le transporte depuis la terre, sera rance à cause des radiations ionisantes donc dans ce cas-là on prendra également de l'huile de soja, de blé ou de riz.

Par rapport au sel, on sait que le sel contenu dans les urines est délétère pour la croissance des plantes donc on le retirera (rassurez-vous il sera stérilisé) et cela nous permettra de saler à ce moment-là la purée et de cette manière, nous serons capables de réaliser toute une série de recettes.


Actuellement, j'ai contribué à élaborer plus d'une centaine de recettes qui pourront être utilisables par les astronautes rien qu'avec les dix plantes disponibles dans le projet MELISSA.

NSH: Merci d'avoir lu cette interview !


Pour compléter cette interview voici quelques liens :

https://www.asc-csa.gc.ca/fra/astronautes/vivre-dans-l-espace/alimentation-dans-l-espace.asp

Vous pouvez consulter les vidéos de l’émission sans chichis : https://www.sergepieters.net/single-post/la-cuisine-des-astronautes-emission-sans-chichis-1-3


Sources:

[1] Serge Pieters et Dirk Frimout, L’alimentation de l’homme dans l’espace et ses applications sur terre. DIETA, 1998 ;13 :9-14 [2] Charles T. Bourland, Gregory L. The Astronaut's Cookbook: Tales, Recipes, and More. Springer, 2009. 232 pages [3] Scott M Smith, Sara R Zwart, Vickie Kloeris, Martina Heer. Nutritional Biochemistry of Space Flight. Nova Science Publishers Inc, 2009, 208 pages [4] Hackney, Kyle J.1; Scott, Jessica M.2; Hanson, Andrea M.3; English, Kirk L.4; Downs, Meghan E.5; Ploutz-Snyder, Lori L.2 The Astronaut-Athlete, Journal of Strength and Conditioning Research: December 2015 - Volume 29 - Issue 12 - p 3531-3545 doi: 10.1519/JSC.0000000000001191 [5] Andrew J. Taylor Jonathan D. Beauchamp Loïc Briand Martina Heer Thomas Hummel Christian Margot Scott McGrane Serge Pieters Paola Pittia Charles Spence. Factors affecting flavor perception in space: Does the spacecraft environment influence food intake by astronauts? Comprehensive Reviews In Food Science And Food Safet, 2020; 19:3439-75 https://doi.org/10.1111/1541-4337.12633 [6] https://www.esa.int/Space_in_Member_States/Belgium_-_Francais/Survivre_dans_l_espace_apres_sa_reconnaissance_par_l_universite_d_Anvers_le_projet_MELiSSA_continue_sur_sa_lancee

102 vues0 commentaire
bottom of page