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  • arth1996

Tout savoir sur le microbiote intestinale avec le Pr. Cani


Aujourd’hui, nous avons l’immense honneur d’interviewer un chercheur de renommée internationale, le professeur Patrice D. Cani du Laboratoire Métabolisme et Nutrition, Louvain Drug research Institut, UCLouvain, Université UCLouvain.

Les intérêts de recherche du professeur Cani sont l'étude du rôle du microbiote intestinal dans le développement des troubles métaboliques, tels que l'obésité, le diabète de type 2 et l'inflammation de bas grade.


1 Pouvez-vous nous dire ce qu’est le microbiote intestinal ?

Le microbiote intestinal, qu’on appelait anciennement la flore intestinale, c’est en fait l’ensemble des microorganismes qui résident dans notre intestin. Ce sont à la fois des bactéries, des virus, des champignons, …mais aussi parfois des parasites qui vivent en symbiose avec nous (un état où 2 organismes profitent mutuellement l’un de l’autre). Cela représente environ 100 mille milliards de bactéries, si on parle uniquement des bactéries. Ce chiffre est évidemment incroyable mais on pourrait le comparer à au moins autant de cellules que nos propres cellules humaines si nous tenons comptes de nos globules rouges. Si on ne tient pas compte des globules rouges, on est à 10x plus de cellules bactériennes dans notre intestin, que nos propres cellules humaines. Donc si je résume : c’est un grand nombre de microorganismes, pas uniquement des bactéries, mais c’est essentiellement là-dessus que je me concentrerai.




2 En quoi avoir un bon microbiote intestinal peut impacter notre état de santé ?

Pour commencer, c’est très difficile de pouvoir dire ce qu’est un bon microbiote intestinal parce que la réponse n’est pas aussi simple. Aujourd’hui, malgré les milliers d’études qui s’intéressent à la composition du microbiote intestinal chez différentes personnes, il est clair que cette composition est différente même entre des personnes apparemment en bonne santé. En quelques sortes, votre microbiote intestinal vous est propre, un peu comme une empreinte digitale on pourrait distinguer les différentes personnes par la composition du microbiote.


Cela étant dit, lorsque l’on regarde la composition du microbiote intestinal entre des sujets dit en bonne santé et des personnes qui auraient des pathologies que ce soient des maladies inflammatoires de l’intestin, ou différentes maladies associées à des situations métaboliques comme l’obésité, le surpoids et le diabète de type 2, on retrouve des compositions de microbiotes tout à fait différentes. D’où l’idée qu’il y aurait ce qu’on appelle une « dysbiose », c’est un terme qui correspondrait au fait de dire que la composition du microbiote d’un sujet dit malade est différente d’un sujet sain. Mais de là à dire qu’un bon microbiote existe et que donc lister l’ensemble des bactéries vous permettrait de déterminer si vous êtes en bonne santé, ce n’est pas si simple.


En revanche, ce qu’on pourrait qualifier d’un bon microbiote intestinal malgré tout, c’est un microbiote qui nous aide à vivre en symbiose parfaite avec lui. Il faut savoir que le microbiote a différents rôles : Il va jouer sur la digestion et va contribuer à dégrader toute une série d’aliments et nutriments que nous ne sommes pas capables de digérer avec nos propres enzymes digestives. Et quand vous avez un défaut en certaines bactéries, vous pourriez moins bien digérer certains constituants de l’alimentation. Dans ce cas, on pourrait parler de microbiote moins performant. Même chose, pour certaines bactéries qui produisent des vitamines comme la vitamine K ou encore des vitamines du groupe B ou certains métabolites intéressants qui dialoguent avec nos cellules.


3 Quels sont les facteurs qui impactent notre microbiote ?

Notre microbiote est sous l’influence de toute une série de facteurs. Le premier facteur qui influence probablement notre microbiote intestinal, c’est notre alimentation. Puisque notre alimentation va en partie être en contact avec les bactéries. Comme je le disais précédemment, certains nutriments échappent à la digestion par nos propres enzymes digestives. C’est le cas de certaines fibres mais pas uniquement. Certains constituants comme les polyphénols (composés aux propriétés anti-oxydantes et qui donnent la couleur caractéristique des fruits et légumes d’où la phrases manger coloré) de fruits également ou certaines graisses.


Il y a d’autres facteurs qui influence le microbiote, c’est notre système immunitaire qui dialogue en permanence avec ce microbiote intestinal. Et donc cette symbiose fait que normalement, l’ensemble fonctionne bien et correspond à une certaine pression si vous voulez de notre système immunitaire pour réguler la composition de ce microbiote intestinal. Notre génétique aussi pourrait avoir un impact. Et tout une série d’autres facteurs environnementaux comme la prise de certains médicaments, l’influence de notre activité physique, jouent de façon primordiale sur la composition du microbiote. Pour finir, vous pouvez voir qu’il y a toute une série de facteurs, toute une série d’informations qui pourront jouer un rôle sur la composition de ce microbiote intestinal.


4 Pouvez-vous nous donner quelques conseils pour favoriser le développement d’un bon microbiote intestinal ?

Lorsque l’on regarde la littérature, et nous avons contribué il y a un peu plus de 15 ans à certaines de ces découvertes, notre alimentation telle qu’on la considère comme normalement saine est une alimentation qui contiendrait un certain nombre de nutriments intéressants comme les fibres alimentaires mais également d’autres constituants que l’on retrouve dans les fruits et légumes comme les polyphénols. Ces constituants alimentaires sont clefs ! Ces fibres, qu’elles soient fermentescibles ou non fermentescibles, auront un effet bénéfique sur la composition du microbiote.


D’ailleurs nous pensons que certains effets bénéfiques qui sont démontrés depuis des dizaines d’années lorsque l’on ingère des fruits et des légumes pourraient en parti passer par l’influence des fibres sur le microbiote intestinal mais également l’influence des polyphénols qu’ils contiennent. En effet, ils peuvent être utilisés par certaines bactéries de l’intestin et peuvent avoir un impact bénéfique.


Une attention particulière est donnée aux graisses qui peuvent avoir à la fois des effets délétères ou des effets bénéfiques. Là je ne vais rien vous apprendre, on va rester de nouveaux dans ce que l’on connait depuis très longtemps mais on en connaît dorénavant mieux les mécanismes. Les graisses dites saturées ont une influence très importante sur la composition du microbiote mais cette fois-ci un impact délétère (cet effet délétère des graisses saturées a été en partie découvert il y a une quinzaine d’années dans son laboratoire). En effet, ces graisses vont modifier la composition du microbiote intestinal en appauvrissant certaines bactéries qui pourraient être intéressantes et en l’enrichissant en d’autres bactéries que l’on ne souhaite pas trop voir se développer dans notre intestin. A l’inverse, les fameuses graisses polyinsaturées comme les omega-3 ont démontré des effets très intéressants sur la composition du microbiote intestinal.


On en revient quelque part à ce que l’on nous a toujours appris et que l’on continue à essayer de prôner : une alimentation équilibrée dans laquelle le choix à la fois des fruits, des légumes, des fibres et donc des sources de glucides mais aussi les sources des graisses constituent des nutriments pour la composition du microbiote intestinal.


Mon discours peut paraître un peu bateau parce qu’on a l’impression qu’on nous rappelle les bases d’une alimentation équilibrée et je pense effectivement que c’est ce qu’il faut faire. Mais aujourd’hui grâce à la connaissance plus précise de la composition du microbiote intestinal et ses interactions avec les nutriments que nous venons de citer, on a plus d’éléments pour mieux expliquer : Pourquoi ces nutriments sont soit délétères sur la composition du microbiote j’entends les graisses saturés ou le manque de fibres (Peu de personnes couvrent les apports recommandés en fibres par le conseil supérieur de la santé) ou à l’inverse l’enrichissement en certains polyphénols ou certains fruits ou certains légumes plus simplement.





5 Lors de vos recherches, comment avez-vous été amené à investiguer sur la bactérie Akkermansia ?


Akkermansia c’est vraiment une histoire qui m’est arrivé par chance. Il faut savoir qu’en science, théoriquement, on a des hypothèses et on réfléchit à la mise en place des expériences pour vérifier ces hypothèses. J’ai commencé à travailler dans le laboratoire de Métabolisme et Nutrition (UCLouvain) au début des années 2000, cela fait maintenant une vingtaine d’année, et il faut savoir que c’est dans ce laboratoire que le professeur Marcel Roberfroid a été le premier à proposer le concept de prébiotiques. Ce sont des constituants alimentaires qui vont être sélectivement utilisés par certains microorganismes et auront un effet bénéfique sur la santé.


Ce concept est né dans le laboratoire. Moi, je suis arrivé là et j’ai commencé à travailler avec la Professeure Nathalie Delzenne sur l’impact des prébiotiques sur la santé. Ensuite, lorsque nous avons pu accéder à des techniques d’analyse beaucoup plus précises du microbiote intestinal. J’entends ici non plus de la culture ou de l’observation sous microscope mais des techniques dites de séquençage à haut débit. Nous avons séquencé, si vous voulez, le génome du microbiote, comme on l’a fait pour le génome humain. Donc là je parle des années 2006-2007. J’ai observé à cette époque-là, avec l’une de mes doctorantes, que l’alimentation riche en graisses saturées, chez les animaux de laboratoire, d’abord entrainait une diminution de bifidobactérie, qui est une bactérie bien connue avec des effets bénéfiques sur la santé mais aussi une diminution d’une autre bactérie qu’on ne connaissait pas du tout : Akkermansia. A l’inverse, la prise de prébiotiques (oligofructose ou inuline) entrainait une augmentation vraiment importante de cette bactérie. On parle de 100 à 1000x selon les protocoles.


A la base c’était donc une simple observation, on ne connaissait pas du tout Akkermansia. Notre équipe a décidé de s’intéresser d’un peu plus près à cette corrélation. En d’autres mots, quand les animaux étaient obèses et diabétiques ils n’avaient quasiment plus d’Akkermansia. Et quand ils étaient en présence de prébiotiques ils allaient nettement mieux et avaient plus de cette bactérie. Lorsque l’on s’est attardé à cette corrélation chez l’homme nous avons constaté la même observation c’est-à-dire que les sujets en surpoids ou obèses possèdent moins d’Akkermansia, les sujets diabétiques de type 2 aussi.


Cette corrélation inverse laissait suggérer peut-être une interaction. Evidemment, une corrélation reste une corrélation et ne permet pas de démontrer la causalité. Donc, cela fut le commencement de cette histoire : simplement une observation qui m’a poussé à aller un peu plus loin. Je dois dire que j’avais déjà la chance à ce moment-là de collaborer avec le « papa » d’Akkermansia qui est le professeur Willem De Vos c’est lui qui l’a isolée en 2004. En discutant avec lui de mes observations, il m’a proposé de cultiver cette bactérie (ce qui n’est pas facile, seulement 30% des bactéries de l’intestin sont cultivables pour le moment) et de l’administrer aux animaux de laboratoires. Et c’est ce qu’on a réalisé.


Quand on a administré cette bactérie aux animaux de laboratoires en vue de restaurer le taux d’Akkermansia qui était diminué à cause du régime riche en graisse, nous avons observé des effets bénéfiques sur la santé de ces animaux. C’est-à-dire qu’ils gagnaient moins de poids, moins de masses grasses et avaient moins d’inflammation, une meilleure barrière intestinale et une amélioration de leurs métabolismes glucidiques et lipidiques. Tout a continué à partir de ce moment-là, il y a maintenant plus de 10 ans.


6 Quelles sont les pistes ou les hypothèses pour expliquer son effet protecteur ?

Il y a plusieurs hypothèses que nous avons réussi à démontrer aux cours de ces 12 dernières années. La première hypothèse est le premier mécanisme que nous pensons être clef c’est le fait qu’Akkermansia vit au niveau de la couche de mucus qui tapisse les cellules épithéliales de l’intestin. Cette caractéristique est très particulière parce que la plupart des bactéries se retrouvent dans la lumière de l’intestin et ne sont pas accrochés à ce mucus (qui est une source alimentaire pour Akkermansia).


Elle va à cet endroit-là avoir une relation privilégiée avec nos cellules puisqu’elles entament un dialogue avec, non seulement notre système immunitaire, nos cellules intestinales, mais elle se retrouve aussi en quelque sorte à un endroit qui est une frontière, une barrière par rapport aux autres bactéries qui se trouvent dans notre intestin. Nous avons pu démontrer de manière très probante dans de nombreuses études qu’Akkermansia permettait de restaurer une couche de mucus qui maintien à une certaine distance les bactéries et donc protège l’intestin de l’invasion de toute une série de bactéries qui ne devraient pas s’y trouver et qui pourraient avoir un impact sur la barrière intestinale.


En effet, il y a une quinzaine d’années, quand-on a découvert qu’il y avait plus d’inflammation chez les personnes diabétiques ou obèses et que cette inflammation pouvait être associée à une augmentation de la perméabilité intestinale et la translocation de certaines toxines venant de l’intestin, nous avons essayé de comprendre pourquoi et comment cela pouvait se développer. Et quel pouvait être les outils qui nous permettraient d’améliorer cette situation. Akkermansia permet de renforcer cette fonction barrière de l’intestin. Un second rôle d’Akkermansia, c’est la production de certains métabolites comme les fameux acides carboxyliques à chaine courte ou acides gras à chaine courte dont on parle assez souvent : l’acétate, le propionate et le butyrate.


La bactérie Akkermansia produit le propionate, et ce propionate a été clairement démontré comme étant un métabolite dialoguant avec nos cellules et notre système immunitaire. Des données très récentes de notre laboratoire mais aussi d’autres laboratoires, montrent qu’Akkermansia permet non seulement d’avoir un impact sur la production d’hormones qui régulent le métabolisme glucidique et l’insulinosensibilité (sensibilité à l’insuline, la seule hormone hypoglycémiante du corps humain. Une perte de la sensibilité à l’insuline ou de sa sécrétion amène aux différents diabètes) mais aussi d’influencer le système immunitaire donc on revient au mécanisme de barrière en local au niveau de l’intestin.


Parmi les autres mécanismes, en tous cas c’est ce que suggère quelques évidences expérimentales, on pense qu’elle pourrait grâce à certains constituants qui se trouvent sur Akkermansia, elle arriverait à dialoguer avec nos cellules immunitaires également. Nous avons isolé une protéine qui s’appelle « Amuc_1100° » et cette protéine semble pouvoir répliquer une partie des effets bénéfiques de la bactérie. Voilà une des nombreuses pistes que l’on a réussi à explorer pour l’instant et qui nous laisse penser que le démarrage de l’histoire est la barrière intestinale.


Mais très récemment, en 2020, dans le cadre de la thèse de doctorat de Clara Depommier, on a également démontré qu’Akkermansia modifiait le métabolisme énergétique c’est-à-dire qu’elle influencerait l’absorption de certains nutriments et notamment diminuerait l’absorption de certains sucres dans l’intestin et ceci s’accompagnerait d’une augmentation de l’énergie perdue dans les matières fécales. En d’autres mots on arriverait à modifier l’absorption des sucres, ceci pourrait aussi peut-être expliquer l’impact sur le taux de sucre dans le sang (la glycémie) et la tolérance au glucose. Nous avons vu que Akkermansia améliorait la tolérance au glucose et aiderait peut- être à faire échapper en quelques sortes certains sucres dans la partie intestinale avant d’être éliminé ou fermenté par d’autres bactéries. Comme vous le voyez certains mécanismes ne sont pas encore totalement élucidés mais ceux-ci pourraient avoir un impact intéressant et expliquer les effets de cette bactérie.


Cela a mis fin à l'interview;


Infos complémentaires sur le Pr Cani:


Sources complémentaires pour les personnes voulant aller plus loin :


Cani, P.D., 2018. Human gut microbiome: hopes, threats and promises. Gut 67, 1716–1725. https://doi.org/10.1136/gutjnl-2018-316723


Cani, P.D., de Vos, W.M., 2017. Next-Generation Beneficial Microbes: The Case of Akkermansia muciniphila. Front. Microbiol. 8, 1765. https://doi.org/10.3389/fmicb.2017.01765


Dao, M.C., Everard, A., Aron-Wisnewsky, J., Sokolovska, N., Prifti, E., Verger, E.O., Kayser, B.D., Levenez, F., Chilloux, J., Hoyles, L., MICRO-Obes Consortium, Dumas, M.-E., Rizkalla, S.W., Doré, J., Cani, P.D., Clément, K., 2016. Akkermansia muciniphila and improved metabolic health during a dietary intervention in obesity: relationship with gut microbiome richness and ecology. Gut 65, 426–436. https://doi.org/10.1136/gutjnl-2014-308778


Depommier, C., Everard, A., Druart, C., Plovier, H., Van Hul, M., Vieira-Silva, S., Falony, G., Raes, J., Maiter, D., Delzenne, N.M., de Barsy, M., Loumaye, A., Hermans, M.P., Thissen, J.-P., de Vos, W.M., Cani, P.D., 2019. Supplementation with Akkermansia muciniphila in overweight and obese human volunteers: a proof-of-concept exploratory study. Nat. Med. 25, 1096–1103. https://doi.org/10.1038/s41591-019-0495-2


Plovier, H., Everard, A., Druart, C., Depommier, C., Van Hul, M., Geurts, L., Chilloux, J., Ottman, N., Duparc, T., Lichtenstein, L., Myridakis, A., Delzenne, N.M., Klievink, J., Bhattacharjee, A., van der Ark, K.C.H., Aalvink, S., Martinez, L.O., Dumas, M.-E., Maiter, D., Loumaye, A., Hermans, M.P., Thissen, J.-P., Belzer, C., de Vos, W.M., Cani, P.D., 2017. A purified membrane protein from Akkermansia muciniphila or the pasteurized bacterium improves metabolism in obese and diabetic mice. Nat. Med. 23, 107–113. https://doi.org/10.1038/nm.4236


Wieërs, G., Belkhir, L., Enaud, R., Leclercq, S., Philippart de Foy, J.-M., Dequenne, I., de Timary, P., Cani, P.D., 2019. How Probiotics Affect the Microbiota. Front. Cell. Infect. Microbiol. 9, 454. https://doi.org/10.3389/fcimb.2019.00454

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